Catégories
5 ou 10 ? Africa Articles

5 POINTS POUR MIEUX APPRECIER LE DOCU Bobi Wine The People’s President

Bobi Wine, le Président du peuple est un film réalisé par Christopher Sharp et Moses Bwayo. Ce film raconte le parcours de Robert Kyagulanyi alias Bobi Wine et son combat pour la démocratie en Ouganda face à un régime autoritaire. On ne m’a rien demandé mais je vous en parle quand même.

  1. BOBI WINE ?

Paris, le 12 février. Mon camarade le journaliste Essimi Mevegue m’appelle avec insistance. Je décroche. Il ne me laisse pas beaucoup de temps. « Tu connais Bobi Wine ? ». Je balbutie que je ne connais pas. Essimi m’interrompt : « tu devrais ! » Il organise une projection le 21 février sur ce « Bobi Wine » et « j’ai intérêt à venir ». Bon.

Le jour J dans le petit et feutré Club 13, j’échange avec quelques visages familiers. Je serre quelques mains, notamment celles d’un grand dandy anglais et d’un Africain en béret rouge qui parle anglais. Durant la projo, je me rends compte que ce sont le réalisateur Christopher Sharp et Bobi Wine. Ce n’est pas lui faire injure de dire qu’il est quelconque. Il a au mieux des faux airs de la star Bounty Killer. Comme il l’expliquera dans le petit entretien après la projection, Bobi Wine ne considère pas être un « héros » mais juste un « gars ordinaire qui n’avait pas le choix ».

Le jeune quarantenaire, était d’abord surtout connu des Ougandais pour ses chansons reggae dont les paroles évoquent la pauvreté et l’injustice sociale. Il était une « pop star », « la » pop star même. Avec la grosse maison, le 4X4, le studio, la charmante et courageuse femme (« Barb ») et ses quatre enfants. Soucieux de s’adresser à la jeunesse de son pays, où les trois quarts de la population a moins de 35 ans, Bobi Wine s’est appuyé sur sa renommée musicale pour faire avancer son combat, depuis ses débuts en politique, d’abord comme député puis à l’échelon national.

La force de ce docu réside dans la forme assez classique. On est loin des documentaires popularisés par les plateformes vidéos pleins de couleurs, d’infographies et de montages épileptiques. Ici, on est embarqué caméra à l’épaule à l’ancienne. C’est l’intimité et le combat de Bobi Wine qui est dévoilé. On voit l’opposant ougandais malmené par un régime qui tente au début de le bloquer puis de l’éliminer physiquement, tout comme ses compagnons de lutte et ses partisans.

2. OUGANDA ?

Je ne connais pas du tout ce pays. Je n’ai jamais croisé d’ougandais. Je ne connais pas d’ougandais célèbres à part l’acteur anglais Daniel Kaluuya ou le chanteur disparu Geoffrey Oryema... Ce pays d’Afrique de l’est est entouré par la République démocratique du Congo à l’ouest, le Kenya à l’est, le Rwanda au sud-ouest, le Soudan du Sud au nord et la Tanzanie au sud. Les Ougandais appartiennent à deux grands ensembles ethniques et culturels : les Bantous (Bougandais ou Baganda, Banyankoles, Banyoro et Toro), qui représentent les trois quarts de la population et vivent dans la moitié sud du pays, et les populations nilotiques peuplant le nord.

Économiquement l’Ouganda au début des années 90 était considéré par un bon élève par le FMI. A la faveur de mesures d’austérité, l’économie se stabilise tout en poursuivant sa croissance. L’inflation et les dépenses publiques sont maîtrisées. Les grandes réformes libérales sont lancées: le marché des changes est libéralisé, le retour des Indiens expulsés par Amin Dada s’organise et la privatisation des entreprises publiques est initiée. Le secteur privé et les investissements étrangers font par ailleurs l’objet d’une importante promotion, et la réforme de l’appareil étatique est engagée. La réussite économique se reflète dans des taux de croissance compris entre 4,5 % et 10,6 % et des taux d’inflation allant de 5,2 % à 7,8 % par année fiscale.

L’Ouganda aspire à devenir un pays producteur de pétrole, grâce à l’exploitation des gisements du lac Albert découverts en 2006. Près de 1,7 Mds de barils pourraient être extraits avec un rythme de production pouvant atteindre jusqu’à 230 000 barils/jour. Les autorités ougandaises espèrent que la production pétrolière pourrait débuter en 2025. 

Politiquement cette ancienne colonie britannique n’a pas été un modèle de stabilité. A partir de 1962 l’Ouganda accède à l’indépendance et le pays devient un état fédéral avec un « kabaka » (roi) Mutesa II, président à vie. Cependant, Milton Obote, un nordiste opposant au roi, fondateur du Congrès du peuple ougandais ( Uganda People’s Congress, UPC), devient premier ministre. En 1971  le tristement célèbre Idi Amin Dada, originaire du nord-ouest, prend le pouvoir par un coup d’État et installe un régime autoritaire jusqu’en 1979. 27 janvier 1986 renversement du président Tito Okello en Ouganda. Il est débarqué par un coup d’état militaire orchestré par le leader du Mouvement national de résistance (MNR) de Yoweri Museveni.

3. MUSEVENI ?

Monsieur Yoweri Kaguta Museveni Tibuhaburwa a 79 ans. Le président Ronald Reagan était au pouvoir lorsqu’il arrive en 1986 à la tête de l’Ouganda. Il émerge dans la scène politique de son pays dès les années 70. Collaborateur du président Milton Obote (1970-1971), il lutte contre la dictature du sanguinaire Idi Amin Dada. Difficile à imaginer aujourd’hui mais, Bobi Wine le confie même dans le docu, Museveni était le « chouchou » du peuple.

Sa prise de pouvoir en 1986, met un terme à quinze années de guerre civile. Museveni instaure un régime de « démocratie sans parti », avec pour objectif de canaliser les tensions politiques et confessionnelles à l’origine des années de guerre civile. Ce système est plébiscité, le 29 juin 2000, par un référendum remporté par le pouvoir à plus de 90 % des voix. Museveni va également contribuer à redresser le pays par la stabilité politique et la croissance économique, et en développant des infrastructures. Il met en place diverses réformes libérales et même sanitaires :  l’Ouganda était l’un des rares pays africains à obtenir des résultats positifs face au fléau du sida.

A partir de 2005 Museveni se « radicalise ». Il fait sauter le verrou constitutionnel des deux mandats puis supprime en 2017 la limite d’âge, alors fixée à 75 ans, pour briguer la magistrature suprême. Parallèlement à partir de 2007 il part en guerre contre l’homosexualité. Ce « combat » (comme si le pays n’avait pas d’autres priorités : 41,7 % des personnes vivent avec moins de deux dollars par jour.) se matérialise en 2009 par l’élaboration d’un projet de loi renforçant la condamnation pénale de l’homosexualité.

Enfin, sa réaction face à la popularité de Bobi Wine on le voit dans le docu va être totalement disproportionnée. Par exemple pour endiguer la vague de soutien numérique, il instaure une taxe sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs de réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et WhatsApp doivent désormais payer des frais quotidiens de 200 shillings, soit 0,05 dollar, pour les utiliser. En guise de justification, Yoweri Museveni assure aux Ougandais qu’ utiliser Internet et les médias sociaux pour bavarder, se divertir, faire acte de malveillance, de subversion, ou inciter au meurtre est un luxe ».

4. UN « HEROS NORMAL » ?

Un homme « normal ». C’est l’impression que m’a donné Bobi Wine lors de notre entrevue de quelques minutes au Club 13. Je venais pourtant de regarder le documentaire. Durant une heure et cinquante quatre minutes on est plongé en première ligne, on ressent la pression, la menace physique, le stress et le danger incessant. Bobi Wine ne porte pas du tout cela sur son visage. Au contraire, il est souriant, affable et échange sereinement. Je me suis donc permis de lui demandé comment il allait, il m’a répondu simplement qu’il avait « des douleurs aux dos et ne pouvait plus rester debout plus d’une heure ». Damn. Bobi Wine, ancien étudiant en arts de l’université Makerere et chanteur populaire de dancehall, on le voit aussi dans le documentaire n’est pas un orateur au charisme renversant. Non. Lui parle au peuple et celui-ci se reconnaît complètement dans son discours. Sa seule « fantaisie » est son béret rouge estampillé au slogan de son mouvement, qui fait écho à l’image des Black Panthers par exemple. La force de Bobi Wine est que malgré son statut (ancienne star de la musique, député puis candidat à la présidence) il garde la tête sur les épaules et reste « normal ».

5. OSCARS ?

Mi-Janvier 2024, l’Académie des Oscars révélait la liste des nommés pour sa 96e édition. Le docu de Bobi Wine était retenu dans la catégorie du meilleur documentaire. Lorsque nous l’avons rencontré début février il était conscient que cette nomination allait mettre une plus grande lumière sur la situation politique de son pays. Malheureusement il ne partira pas avec la fameuse statuette, l’Académie a préféré le docu ukrainien ‘20 Days in Mariupol’. Bobi Wine de retour d’Hollywood devra remobiliser ses troupes et se concentrer sur de nouvelles échéances. Aux dernières élections « volées » par Museveni, Bobi Wine a malgré les fraudes fini deuxième. Les prochaines élections présidentielles seront en 2026….

Laisser un commentaire