LE BLACK ET LA PLUME

La Culture Since Forêveur.

La longévité dans le rap US . (PART 1)

Slick Rick, légende du hip-hop, 60 printemps au compteur a sorti en juin dernier Victory, son nouvel opus. Peu après, le duo Clipse (Pusha T, 48 ans et Malice, 52 ans) dévoilait Let God Sort ‘Em Out, un retour fracassant après des années d’absence. Dans la même veine, Raekwon (55 ans) et Ghostface Killah (55 ans lui aussi), piliers du tout-puissant Wu-Tang Clan, ont enchaîné avec leurs propres projets en juillet et août. Quatre albums majeurs, quatre artistes ayant franchi le cap des 50 ans. Simple coïncidence ? Ou signe d’un mouvement plus profond dans le rap américain où les vétérans reprennent le micro avec la même « grinta » qu’à leurs débuts ? L’occasion idéale pour s’interroger sur la longévité des carrières dans le hip-hop US. Personne ne me l’a demandée, mais je vous donne quand même mon avis.

Il y a tout juste deux ans, le 11 juillet 2023, le monde (enfin surtout les Etats-Unis…) célébrait le cinquantenaire du Hip-Hop, j’ avais écrit sur cet anniversaire ICI. Né en 1973 dans le borough du Bronx , cette culture est composée de quatre piliers fondateurs : la danse (breaking), le graffiti, le deejaying et le rap. L’année 1979 marqua un tournant avec la sortie de Rappers Delight  de Sugarhill Gang, le premier single officiel de rap – un titre qui propulsa cette musique hors des block parties new-yorkaises. À titre de comparaison, les légendaires Rolling Stones, toujours actif aujourd’hui, avaient publié leur premier album dès 1964… Preuve que la longévité des pionniers du rap relève presque du rêve , tant les obstacles étaient nombreux. Le premier d’entre eux : sans l’aval d’une maison de disques, impossible de vivre de son art.

1979- 1984
Ainsi certaines des premières figures du hip-hop n’ont jamais eu la chance de signer un contrat, ou l’ont fait bien trop tard. Grandmaster Caz est l’exemple le plus tragique. Le regretté Combat Jack (créateur d’un des premiers podcasts Hip-hop) racontait souvent comment les performances de Caz dans les block parties enregistrées sur cassettes se propageaient ensuite comme une traînée de poudre à travers New York, le New Jersey et Philadelphie. Auteur du couplet de Big Bank Hank dans « Rapper’s Delight » (la fameuse phase « Hotel, motel, holiday Inn » c’est lui !) Caz n’a jamais connu le succès à la mesure de son immense talent.
De nombreux pionniers, comme Melle Mel (l’auteur du classique « The Message« ), Kurtis Blow, les Treacherous Three ou encore les Fat Boys, ont signé des contrats désavantageux qui les ont empêchés de s’adapter aux changements de l’industrie musicale. Seuls les légendaires RUN DMC, qui ont émergé en 1984, ont réussi à maintenir une série de succès, s’imposant comme des stars incontournables des années 80 et 90.

1985 à 1990

La génération suivante, du premier Golden Age , fait encore un peu de la résistance.

Des artistes comme Big Daddy Kane, Rakim, Too $hort, KRS-One, Public Enemy, De La Soul ou encore les Beastie Boys ne sont pas entièrement tombés dans l’oubli. Ces légendes continuent de tourner et/ou de rééditer leurs vastes catalogues.
Le récent exemple de Too $hort est particulièrement frappant. Le vétéran d’Oakland, dont le premier album date de 1985, a vu son morceau « Blow the Whistle » (2006) devenir l’hymne non officiel de l’équipe NFL des Eagles de Philadelphie grâce à un phénomène viral. Cette popularité soudaine a boosté les streams du morceau de plus de 300 % en un an, le propulsant dans les classements de Billboard et le plaçant dans le top 10 des titres hip-hop les plus écoutés. Ce titre a même battu les records de streams hebdomadaires de toute la discographie de Too $hort.
D’autres figures majeures, comme la criminellement sous-estimée Queen Latifah (un Grammy, un Emmy et un Golden Globe à la ceinture) , Ice Cube, Ice-T, Will Smith ou LL Cool J, ont bifurqué avec succès vers le cinéma ou la télévision. Ladies Love Cool James (premier album sorti par Def Jam en 1985) a fait son grand retour l’année dernière avec The Force, son quatorzième album, produit à 80% par Q-Tip. Un autre M. Smith – Will, alias le Fresh Prince depuis 1986 – a lui aussi récemment dégainé un nouvel opus. Il semble qu’il ne s’est pas remis de son « craquage » aux Oscars….Regardez le clip ICI

Enfin, le légendaire Slick Rick, (dont on retrouve l’ADN chez des artistes aussi différents que Snoop Dogg et Disiz) a enfin sorti un album après 26 ans d’absence ! Malgré la qualité du projet – renforcée par les présences d’Idris Elba, Nas et Giggs – et un partenariat avec la marque Clarks, l’accueil et la promo sont restés étonnamment discrets. Dommage.

1990 à 2005.

Lorsque Jay-Z rappait « 30’s the new 20 » en 2006 sur son album Kingdom Come à l’époque beaucoup raillaient l’alors « vieux » rappeur de…35 ans. Comme les temps changent ! Aujourd’hui on ne compte plus les fringants cinquantenaires toujours en activité. Method Man (54 ans) et Redman (55 ans) , Raekwon et Ghostface (55 ans), Daz Dillinger (52 ans) et Xzibit (50 ans) viennent chacun de sortir des projets cette année. Busta Rhymes (53 ans), Killer Mike (50 ans) ou encore Rick Ross (49 ans) et Nas (50 ans) livrent toujours de l’excellente musique.

Cette génération s’oppose en tout point à celle de 1979-1984. Eux, maîtrisent les rouages de l’industrie et en ont pleinement profité. Jay-Z est devenu un mogul, Method Man un véritable acteur, 50 Cent est devenu producteur à succès de série de télévisions, Cam’ron produit son talk show de sport et Eminem (que l’on aime ou pas) a 52 ans reste un des rappeurs les plus populaire dans le monde. Aujourd’hui, grâce à la technologie, ils peuvent diffuser leur musique en toute autonomie et exploiter leur notoriété pour conclure des contrats parallèles. Je pense notamment à Fat Joe (qui a soufflé ces 55 bougies ce 19 août !) devenu podcaster avec Jadakiss (50 ans) depuis le mois de mai dernier.

Attention, parfois cela ne suffit pas. Le dernier exemple en date ? Le fiasco de Missionary, ultime projet de Calvin Cordozar Broadus Jr., alias Snoop Dogg. Tout semblait aligné : un vingtième album doublé d’un retour aux sources avec son mentor Dr. Dre. Celui-là même qui produisit son premier opus, le classique Doggystyle en 1993. À l’époque, l’Amérique redoute ce « gangsta rappeur à tête de chien ». Trente ans plus tard, le même Snoop (grand père, cheveux longs et sourire communicatif) est consultant de luxe pour NBC lors des JO de Paris et charme la Terre entière. Dre, 60 ans, est quant à lui sacré légende incontestée. Sur le papier ce projet ressemblait à un penalty face à un but vide. Pourtant… Pas de clips, à l’exception d’un mini film (regardez ici). Une promotion light (pas d’interviews à part un passage dans le podcast Drink Champs de Nore) , un marketing « bancal » (des préservatifs en guise de merch ? Sérieusement ?). Et surtout, une musique qui ne tenait pas ses promesses – en tout cas, pas à la hauteur des standards auxquels les deux artistes nous ont habitués. Résultat ? Les « jeunes » ont scrollé sans cliquer et les « vieux » ont pleuré…puis sont repartis réécouter The Chronic pour se consoler.

L’année dernière Common et Pete Rock, eux, ont choisi un chemin plus traditionnel. À 52 et 53 ans, pas de collaborations gadget ou de merchandising ridicule – juste The Auditorium Vol. 1, un album taillé pour les « puristes » où la musique vintage de Pete Rock rencontre la fraîcheur d’un Common toujours aussi fluide au micro. Ce projet commun a été porté par quelques interviews ciblées (de Jimmy Fallon Show sur NBC au podcast Juan Ep Is Live de Rosenberg et Cipha Sounds) cinq clips et un message clair : « On est là pour la musique. » Résultat ? Un projet qui cartonne sans faire de bruit – 15 millions de streams en deux semaines, des critiques unanimes, et des fans des deux générations qui redisent la même chose : enfin un « vrai » album et pas une playlist algorithmique.

Le succès d’estime et dans les charts de Let God Sort Em Out de Clipse prouve que cette règle peut être remise en question. La longévité quand elle est alimentée par la créativité, la sincérité et une vraie stratégie est non seulement possible, profitable et précieuse pour notre musique. En célébrant nos vétérans comme Queen Latifah, MC Lyte, LL, Raekwon, Ghostface ou Slick Rick l’art du mcing s’enrichit, assure son évolution tout en gardant vivante sa capacité d’entertainment mais aussi de raconter la complexité de la vie sous toutes ses formes.

Une réponse à « La longévité dans le rap US . (PART 1) »

  1. Avatar de La Longévité Dans Le Rap. (PART 2) Clipse : L’Exception Qui Confirme La Règle ? – LE BLACK ET LA PLUME

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