L’attentat perpétré ce vendredi en Isère franchit une nouvelle étape dans le terrorisme sur le sol français. Ce nouveau danger réveille des réactions très loin de l’ « esprit Charlie » et change résolument la donne.
C’était il y a six mois. Quelques jours après le nouvel an la France est touchée en plein cœur. Douze personnes (dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo) sont assassinées par Chérif et Saïd Kouachi. Cinq par Amedy Coulibaly : une jeune policière municipale à Montrouge et quatre personnes de confession juive au cours d’une prise d’otages dans une épicerie casher. Ces trois terroristes sont des français d’origine immigrée et qui se prétendent musulmans. Une catastrophe. On craint les amalgames et une poussée d’islamophobie. A part quelques dérapages contrôlés la France est à la hauteur de l’ événement : digne, courageuse et lucide. Une marche républicaine rassemble plus de 3,7 millions de personnes dans toute le pays. Tous réaffirment leurs attachements à la liberté d’expression et la classe politique se range derrière François Hollande. C’est le fameux « esprit Charlie » devenu malheureusement une sorte de tarte à la crème jeté au visage de quiconque émet avis dissonant. Mais c’est un autre sujet…
Le Terrorisme Ordinaire
L’attentat de ce vendredi est diffèrent. C’est une sorte de « terrorisme ordinaire ». La victime n’est ni un célèbre caricaturiste ou un polémiste. Hervé Cornara était un homme de 54 ans sans histoires directeur commercial de la société ATC Transport à Saint-Quentin- Fallavier une ville de même pas 6 000 habitants. Le profil du meurtrier ? Tout le contraire des frères Kouachi des orphelins marginaux ou de Coulibaly qui enchaînait les allers-retours en prison. Yassin Salhi est un chauffeur-livreur de 35 ans au casier judiciaire vierge. Même le fils de la victime Kevin Cornara, dans une interview pour LCI le décrit comme un individu « très gentil, toujours très souriant, très aimable, très poli ». Oui, Hervé Cornara était l’employeur de Yassin Salhi. Celui-ci l’a décapité puis a accroché sa tête à un grillage. Le déséquilibré a expliqué aux enquêteurs avoir tué Hervé Cornara sur un parking en se rendant sur les lieux de l’attentat. Il a ensuite fait un selfie avec la tête décapité de son patron. L’horreur. En janvier, on pouvait rester glué devant les chaînes d’informations en continu pour suivre en direct les prises d’otage puis l’assaut contre les trois fous. Ici, il n’y a pas eu de vidéos ou de photos : on n’a que le témoignage macabre de l’assassin. Il n’y a pas non plus de slogans (« Je Suis Charlie ») ou de symboles fédérateurs comme la liberté d’expression en danger. En janvier les crimes avaient des « mobiles » : les caricatures du prophète pour Les Kouachis et un antisémitisme primaire pour Coulibaly. Ici c’est gratuit. Selon l’AFP et iTélé, le ton est monté entre les deux hommes, après que Yassin Salhi ait fait tomber une palette de matériel informatique. On s’en doutait un petit peu, mais là c’est clair : avec le « terrorisme ordinaire » personne n’est à l’abri.
Fini l’union nationale !
Les hommes politiques désarmés (donc moins lucides ?) ont choisi ce weekend de violemment réagir. Et puis il faut commencer à se positionner pour les prochaines élections présidentielles…. Après l’attentat de Charlie Hebdo Jean- Marine Le Pen, récusait avec virulence « tout amalgame » entre « nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs » et « ceux qui croient pouvoir tuer au nom de l’islam « . Aujourd’hui elle veut expulser du territoire national « les étrangers suspectés de fondamentalisme islamiste », les « binationaux coupables ou complices après les avoir déchus de la nationalité française » et demande la « fermeture des mosquées salafistes ». Son vieux père doit pleurer (d’un oeil ) de joie. Nicolas 1 er le revenant ne va pas aussi loin. Lui précise innocemment avoir « depuis plusieurs semaines » appelé le gouvernement « à prendre toutes les mesures indispensables pour assurer la protection de nos compatriotes, dans la continuité des propositions que nous avions formulées ». En gros, votez pour moi : je vais terrasser Daesh, Al Quaïda, la Faim Dans le Monde et les Tsunamis. Estrosi et Morano deux éminents cerveaux de l’UMP (devenus Les Républicains) eux en ont profité pour nous ressortir la fameuse « Cinquième Colonne« . Les pauvres. Enfin le gouvernement par l’intermédiaire de Manuel Valls a également fait dans la surenchère. « Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. » a déclaré Manu « Le Blanco » dimanche matin lors de l’émission Le Grand Rendez-vous d’Europe 1-Le Monde-iTélé. Un discours belliqueux qui fait ricaner la droite et embarrasse la gauche mais surtout témoigne d’un aveu d’impuissance. Le premier ministre « envoie un message fort » parce que dans l’immédiat il n’ a pas de solutions.
Ce samedi les habitants de Fontaines-sur-Saône dans le Rhône ont rendu un hommage à Hervé Cornara qui devait fêter ses 55 ans hier. Décapité en pleine journée, il est la première victime sur le sol français du « terrorisme ordinaire ». Sans images, sans vidéos, sans slogans ni messages : un anonyme. Comme nous. Plus personne n’est Charlie car ce vendredi 26 juin on s’est rendu compte avec effroi que l’on soit à Paris, Saint-Quentin-Fallavier, Sousse en Tunisie, Koweit City ou a N’Djamena au Tchad on pouvait tous devenir Hervé.