Straight Outta Compton , qui relate l’épopée du groupe N.W.A. et ses stars Ice Cube et Dr Dre, a été un énorme succès aux Etats-Unis cet été. Comme il est sur les écrans en France depuis mercredi, voici quelques réflexions sur ce gros biopic hip-hop.
1.LES VAINQUEURS (RÉ) ÉCRIVENT L’HISTOIRE.
Andre Young est un monsieur de 50 ans. Il enregistre un peu de musique durant ses loisirs et vend des casques audio. O’Shea Jackson lui a eu 46 ans en juin dernier. Il rappe encore de temps en temps mais surtout nage dans les eaux d’Hollywood en tant qu’acteur, réalisateur et producteur depuis plus de vingt ans. Ni l’un et ni l’autre n’avaient besoin de ce film. La condition primordiale des deux gentlemen pour s’embarquer dans cette aventure n’était pas négociable : le contrôle complet. D’abord le duo a imposé F. Gary Gray derrière la caméra. Le réal’ a fait ses armes en tournant Today It Was A Good Day de Cube, Keep Their Heads Ringin de Dre et évidemment le film Friday. Ensuite ils ne s’en sont pas cachés dans les interviews : ils étaient impliqués du casting à la rédaction du scénario. Cela donne des petites scènes amusantes. Par exemple Dre dans le film est doté d’un crochet du tonnerre. Dés qu’il colle une droite à quelqu’un : il le « couche » ! Ou alors le Doc profite d’une scène pour justifier les magnifiques vestes en satin qu’il portait à l’ époque de son premier groupe le World Class Wreckin Cru.
La fin du film transformée en pub pour Aftermath et Beats By Dre ? Un peu too much. Enfin, leurs implications donne aussi des perles comme vers la fin du film où Eazy-E lance à DJ Yella derrière sa console, « tu te prends pour Dre ou quoi ? » Incroyable. Il ne reste plus beaucoup de place pour les deux autres membres du gang « called niggas with attitude ». Les rôles de Yella proche de Dre depuis ses débuts et MC Ren, pourtant le premier artiste de Eazy-E sont réduits à des statuts de faire-valoir. Cube et Dre sont executive producer, eux deux ne sont que « consultants ». Dur. En juin dernier, MC Ren après avoir découvert le trailer avait poussé une petite gueulante sur Twitter contre les « bitches d’Universal qui veulent réécrire l’histoire ». Après la première, Ren a mis un peu d’eau dans son vin et écrit le tweet plus sobre : « les vrais fans connaissent ma contribution dans le groupe en ce qui concerne les lyrics. Ne laissez pas ce film vous induire en erreur. » Oh ça va ! Qu’il ne se plaigne pas : il aurait pu être effacés de l’histoire comme Arabian Prince. Les vainqueurs (traduisez : « les plus riches ») réécrivent toujours l’histoire.
2. CECI EST UN FILM.
Et non pas un documentaire. F. Gary Gray, le réalisateur nous offre un beau spectacle comme la puissante scène d’entrée avec Eazy-E. On l’a dit plus haut, Dre et Cube se sont donnés les bons rôles mais n’ont pour autant pas complètement dénaturé l’histoire du groupe. Jerry Heller, bien interprété par Paul Giacomatti n’est pas qu’un manager véreux qui spoliait Ice Cube. Son rapport décalé avec le groupe et surtout sa relation ambiguë avec Eazy-E est bien décrite. Le film propose aussi des anecdotes comme l’origine de la chanson Boyz-N-Hood , la rencontre d’ Ice Cube et Eazy-E au Tunnel à New York ou l’épique concert du groupe à Detroit où ils ont terminé au poste. Si vous voulez en savoir plus il y a le docu sur les Raiders de Los Angeles réalisé par Ice Cube, Ruthless le livre de Jerry Heller, les DVD sur la vie de Eazy-E (disponibles ICI) et beaucoup d’autres infos « ICI ».
3. EAZY-E SUPERSTAR
Plus que l’ancien dealer ou le petit bonhomme aux jheri curls qui se fait ridiculiser dans Dre Day, Eazy-E était l’âme de N.W.A. Certes, son fils Lil E est un peu vexé de ne pas avoir joué le rôle de son père. Sa fille, E.B Wright le lendemain de la première du film a écrit une série de tweets pour indiquer qu’il « manquait des parties de l’histoire de son père« . A part ces petites réserves, la veuve de Eazy-E, Tomika Woods Right, également executive producer du film, peut être fière d’elle : Eazy-E est le vrai héros de ce film.
4. C’EST UNE HISTOIRE AMÉRICAINE
Los Angeles à la fin des années 80 et au début des années 90 était un autre monde. Compton alias Hub City était la capitale américaine du crime. A la fin des années 80, des faits divers sordides comme le meurtre d’un enfant de 2 ans abattu par une balle perdue choquent l’Amérique. Ajoutez l’explosion du crack, la guerre endémique des gangs, les incessantes bavures policières et vous avez un cocktail détonnant. F. Gary Gray, il l’a martelé dans plusieurs interviews, tenait à ce que ce contexte explosif soit la toile de fond de Straight Outta Compton. On voit donc les méthodes brutales de la guerre contre la drogue, le passage à tabac de Rodney King, et le harcèlement policier qui a insufflé la rage de N.W.A et notamment justifie le titre phare Fuck The Police.
5. MEN LIE. WOMEN LIE,
…Numbers don’t. Après une surprenante première semaine en tête du box office (84,7 millions de dollars) Universal a placé Straight Outta Compton dans 200 salles supplémentaires. Résultat ? Deux weekends de plus au sommet. A l’heure où ces lignes sont écrites, le film est dixième du box office et a engrossé 158 millions pour un budget de « seulement » 28 millions. Avec ces records, Straight Outta Compton est ainsi devenu le biopic musical le plus rentable de tous les temps aux États-Unis. Petite cerise sur le déjà gros gâteau, ce 5 septembre, le single Straight Outta Compton a atterri dans le top single de Billboard…27 ans après sa sortie. On attend les chiffres en France.
6. LA MUSIQUE
Si on aime le rap et qu’on a découvert le gangsta rap à la fin des années 80 avec le breakbeat nerveux, les voix des furieux MC Ren, Ice Cube et Eazy E sur Straight Outta Compton, ce film fait vraiment plaisir. On est plongé dans l’aventure de ce premier album pierre angulaire du « reality rap » étiqueté ensuite « gangsta rap ». Il y a l’ambiance de studio, on voit les gaillards sur scène et aussi un peu d’after party. Un régal. En revanche, la conception de classiques comme Nuthin But A G Thang de Dre et Snoop ou California Love de 2 Pac est moins convaincante parce que beaucoup trop rapide. Même constat pour Amerikkkas Most Wanted le premier album solo de Cube produit par le Bomb Squad de Public Enemy. Seule petite satisfaction en ces heures où les rappeurs règlent leurs différends sur les réseaux sociaux, le retour sur l’épisode No Vaseline d’Ice Cube.
7. UNE GALAXIE DE PERSONNAGES
Difficile d’intégrer tout le monde dans 2h30. Alors F.Gary Gray, bien aidé par Dre et Cube, a tranché. Un Snoop Dogg peu convaincant est présenté par un Warren G peu ressemblant dans les studios de Death Row. On voit souvent D.O.C. le ghostwriter peu bavard mais toujours dans les bons plans. On a droit à quelques minutes de 2 Pac en studio qui rappe Hail Mary. On devine à peine Chuck D, le Bomb Squad, et Sir Jinx, le cousin de Dre et fidèle associé de Cube. En revanche on nous raconte comment Dr Dre a rencontré sa femme. Bon…
8. SUGE KNIGHT EST PLUS VRAI QUE NATURE
Et si c’était le personnage du film le plus proche de la réalité ? L’acteur R.Marcos Taylor s’est bien mis dans la peau de l’imprévisible, menaçant et très impressionnant Suge Knight. Certes, il a passé ces dix dernières années sur les bancs des tribunaux, en prison où à se ridiculiser sur site trash TMZ. Mais n’oublions pas qu’au siècle dernier ce monstre de 1m90 au torse gonflé était l’homme le plus craint du rap game. Ainsi, une décision de justice l’interdit de s’approcher de Dr Dre et il se chuchote que Ice Cube avait quitté LA et rejoint la Nation Of Islam pour échapper à ses griffes. Même diminué et (presque) sans le sous, Simon « Suge » Knight a encore un pouvoir de nuisance : il a récemment écrasé un homme (la vidéo effrayante est ICI) en tentant de tuer Bone un Blood OG, fixeur et médiateur pour l’équipe de production de Straight Outta Compton. Ce n’est pas toujours le gangster qui contrôle l’affaire.
9. JASON MITCHELL ET O’SHEA JACKSON JR CRÈVENT L’ECRAN.
Jason Mitchell qui joue EAZY-E est l’acteur que l’on remarque le plus. La fille de Eazy E va même jusqu »à affirmer qu’il lui rappelle son père. Bel hommage. Ce n’est pas le premier rôle de Jason Mitchell, mais Straight Outta Compton devrait le faire exploser. Le jeune acteur de 28 ans a déjà tourné dans deux nouveaux films : Vincent-N-Roxxy avec Emile Hirsch et Zoe Kravitz, et Keanu, le film de Peter Atencio-réalisé avec Keegan-Michael Key. O’Shea Jackson Jr est dans une autre registre. Fils de la légende vivante Ice Cube, il a surtout l’incroyable avantage de ressembler comme deux gouttes d’eau à son père. Plusieurs fois durant le film on peut se surprendre à oublier qu’on regarde « Junior » et non pas le père.
10. A QUAND UN BIOPIC DANS LE RAP FRANÇAIS ?
Booba, le super héros du rap français, toujours en avance sur la concurrence a déjà eu son film avec Kopp. Inutile de dire qu’il ne valide pas ce sketch. IAM ? Le groupe marseillais a première vue trop lisse a sûrement des choses à raconter. NTM ? Pourquoi pas ? Celui qui devra incarner Joey Starr aura une sacrée pression. Le Secteur Ä ? Un casting entièrement composé de Noirs ET sur le rap ? Cela fait un peu beaucoup pour la France. La F.F ou Time Bomb ? Reste la Mafia K’1 Fry. Le crew du 9.4 possède les personnages hauts en couleurs (Kery James, Rohff, le 113…), les « martyrs » (DJ Mehdi et L..A.S) et une histoire mouvementée bien ancrée dans la réalité française. L’excellent documentaire Si Tu Roules Avec La Mafia K’1 Fry réalisé par Philippe Roizès pourrait être une base de travail. Peut-être en 2025…
2 réponses sur « 10 CHOSES A RETENIR DE STRAIGHT OUTTA COMPTON »
[…] ne pas aller voir les films qui ne vous représentent pas » . Ice Cube producteur de Straight Outta Compton, de passage il y a quelques jours en Angleterre pour la promo de son film Ride Along 2, ne se […]
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[…] Le succès du film Straight Outta Compton a-t-il ouvert les appetits d’Hollywood ? Selon le site The Boombox le tournage a démarré le 15 décembre et s’est terminé ce 12 avril. Depuis cinq ans on parlait de monsieur John Singleton puis Antoine Fuqua (qui a entre autres réalisé Training Day) derrière la caméra. C’est finalement le réalisateur de clip Benny Boom qui s’y est collé. Pourquoi pas ? Demetrius Shipp Jr qui interprétera le James Dean du rap n’a aucune expérience au cinéma. Mouais. On parle aussi de l’excellent Jamie Hector (Marlo Stanfield dans The Wire) dans la distribution mais malheureusement aussi de Gravy pour reprendre le rôle de Biggie. Il y a quelques jours, le 16 juin (Tupac aurait eu 45 ans) un premier trailer de ce film a été publié. All Eyez On Me sortira aux États-Unis le 11 novembre prochain. […]
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