
Le 3 janvier la chaîne américaine du câble Lifetime diffusait le documentaire en six épisodes “Surviving R. Kelly”. Ce docu écrit et réalisé par la journaliste Dream Hampton sur base d’une cinquantaine de témoignages dépeint R.Kelly comme un prédateur sexuel ayant manipulé et abusé de nombreuses adolescentes. Depuis presque un mois, des têtes et des masques tombent. On ne m’a rien demandé mais je vous donne quand même en 5 petits points mon analyse sur cette sordide affaire.
- On le savait tous.
Qui « On » ? Les médias, le milieu de la musique et les fans. Moi, par exemple, fan de la première heure (même si je trouvais qu’il imitait trop Aaron Hall ) je découvre dès 1994 le côté obscur de Robert. Le magazine Vibe (à l’époque en version papier) publie le faux certificat de mariage entre Aalyah 15 ans et R. Kelly 27 ans.(Ils ont d’ailleurs republié l’article le lendemain de la diffusion du documentaire. ) Puis, comme tout le monde, j’ai continué d’écouter les albums de Robert. Comme si de rien n’était. J’ai suivi la progression et transformation d’Aalyah aux côtés de Timbaland et Missy. Malgré tout je me demandais pourquoi aucun journaliste n’évoquait cette « curieuse » relation même du point de vue musical. Récemment en 2016 dans le magazine GQ Robert avait déclaré à propos d’Aalyah : « I can tell you I loved her, I can tell you she loved me, we was very close. We were, you know, best best best best friends.” Hum. Ensuite il y a eu la sextape en 2002. A l’époque, à New York les copies des « exploits » de Robert se vendent en VHS bootleg. Je vivais à Sarcelles et je l’avais vue : Robert en pleine action avec une jeune fille de 16 ans. Ce n’était pas de la HD, on ne le reconnaissait pas complètement, la jeune fille « faisait beaucoup plus âgé » mais cela ne m’a pas dérangé… Robert est arrêté en janvier 2003 pour ces accusations. En février 2003 il sort son album classique Chocolate Factory avec les tubes Ignition, Step In The Name Of Love et…tout est oublié. Pire, en mars 2004, ces accusations ont été abandonnées faute de preuves. Nos bonnes consciences étaient intactes. Dernièrement, en juillet 2017, un article de Buzzfeed accusait le chanteur d’entretenir un « harem »où il séquestrait des jeunes filles. Là aussi, j’ai détourné le regard. Il aura fallu un documentaire pour que finalement j’ouvre les yeux.
2. La force des images.
Membres de la famille (ses deux grands frères et sa femme), anciens producteurs, ex-choristes, victimes…En six heures, la cinquantaine de témoignages recueillis dans ce film démonte pièce par pièce le « système R. Kelly ». Lui-même victime d’abus sexuels durant sa jeunesse était devenu un prédateur. Son mode opératoire ? Super bien rôdé. Le R. cible des jeunes filles mineures, lors de concerts ou carrément dans son ancien lycée. Le monstre se montre tout d’abord charmant, leur promet de les aider dans leur carrière, puis flirte avec elles, les éloigne peu à peu de leur famille, avant d’entraîner les plus fragiles dans un « harem ». Flippant. Réécouter sa musique ou même énoncer des titres de certaines de ses chansons (Age Ain’t Nothing But A Number, Sex Me, You Are Not Alone…) donne la nausée.
3. Fin de l’impunité !
Cette année 2019 marque la fin de l’impunité pour le chanteur de Chi-town. Là où tous les articles (de la presse régionale comme le Chicago Sun) et musicale (comme Vibe Magazine) ont échoué, ce documentaire a enfin réussi. La « communauté » se lève enfin et dit clairement (et hypocritement ?) qu’elle ne soutiendra plus R. Kelly. On peut le comparer à l’affaire Weinstein dans le cinéma en 2017. Le chanteur Tank, Chance The Rapper, Ne-Yo, Omarion, Common, DJ Clark Kent, D-Nice, Jada Pinkett-Smith, Lady Gaga….Tout le monde renie Robert. Enfin. La procureure du comté de Cook (Illinois), dont dépend Chicago, sa ville d’origine, a tenu le 8 janvier une conférence de presse pour lancer un appel à témoins. « S’il vous plaît, contactez-nous, a déclaré Kim Foxx. Nous ne pouvons pas enquêter sur ces accusations sans la coopération des victimes et des témoins. » A Atlanta, où R. Kelly a longtemps détenu une propriété, des enquêteurs du bureau du procureur ont contacté des témoins interrogés dans le film, laissant penser qu’une possible instruction pourrait bientôt s’ouvrir.
4. Qui est Dream Hampton ?
La femme derrière ce documentaire n’est pas une nouvelle venue. Dream Hampton a notamment écrit pour le magazine Vibe puis a réalisé une poignée de documentaires coup de poings. Proche de Biggie et de Jay-Z (elle l’avait rencontré à l’époque de Reasonnable Doubt) elle était pressentie durant les années 2000 pour l’écriture de la biographie de Hov’. Finalement elle ne fera que participer au bel objet Decoded en 2010. Cette femme de caractère n’est pas là pour être « liké ». Ainsi sur Twitter, lieux de débats (stériles ?) Dream a donné des cauchemars à certains. Par exemple, il y a quelques années lorsque DJ Mister Cee avait été « attrapé » avec un transexuel (relisez mon billet à l’époque ICI) Dream Hampton a affirmé qu’un des meilleurs amis de Biggie était gay. C’est aussi elle qui a révélé il y a sept ans que Jay Electronica et stic.man avait « ghostwrité » l’album « Nigger » de Nas ! A l’époque les deux rappeurs démentent vigoureusement cette info. Dream ne s’excuse pas et quitte Twitter un temps. Est-elle plus une militante qu’une journaliste ? Probablement. Les internets (qui n’oublient jamais) ont indiqué que par exemple plusieurs intervenants qui chargent R.Kelly dans son docu ont eu des comportements répréhensibles avec la gente féminine…. Joe Budden a été accusé d’avoir abusé de l’ex video girl Esther Baxter. Charlamagne était impliqué ( puis acquitté) dans une sombre histoire de viol et le journaliste Touré a été accusé d’harcèlement sexuel. Quid de Sparkle qui en a profité pour sortir un single ? Que penser de la femme de R.Kelly ? Dream s’est excusé pour ces mauvais choix mais persiste et signe. Au moins, concernant R.Kelly elle est claire : « je suis en guerre contre lui. » Or durant les combats il y a parfois des dégât collatéraux. Par exemple, lors d’entretiens pour promouvoir son docu elle n’hésite pas à citer les artistes ( Jay-Z, Mary J. Blige, Lil Kim, Erykah Badu, Dave Chappelle…) qui ont refusé de s’exprimer. Questlove dans un tweet (qu’il a effacé) essayera de se dédouaner mais Dream Hampton va une nouvelle fois le sécher. Vous l’aurez compris Dream Hampton n’est pas là pour se faire des amis : elle veut faire tomber R. Kelly et elle a (presque) réussi.
5. 2019 la fin de R.Kelly ?
Ce n’est pas dit. Déjà son avocat est serein. Lors d’une interview pour la chaîne nationale ABC il a balayé d’un revers de main les témoignages du documentaire. Ensuite, selon le site Billboard, durant la diffusion de ce docu, ses streams ont augmenté de 116 % ! Certes, il y a quelques jours son label RCA a (enfin) supprimé le nom du felon de son site mais c’est un acte purement symbolique. En effet, cela fait longtemps que le R. n’apportait plus beaucoup d’argent au label. 12 Nights of Christmas son dernier projet sorti chez eux en 2016, n’était même pas dans le top 100 Billboard… Si beaucoup d’artistes déclarent se détacher de R.Kelly, beaucoup restent silencieux et d’autres (comme Rico Love, Da Brat, Anthony Hamilton ou encore Erykah Badu) essayent de nuancer leurs propos. A l’heure des hashtags et des slogans, ils ne sont pas entendus ou malheureusement trop rapidement décriés. Et puis, c’est selon moi le plus grave, R.Kelly a encore de nombreux fans.
Pour ma part, je suis mortifié. Bien sûr, on peut discourir des heures de la responsabilité des parents de ces jeunes filles, de la complicité des médias, de la cupidité du label, de l’aveuglement des fans, des méthodes de Dream Hampton mais il y a un fait : R.Kelly a maltraité et abusé des jeunes filles et pour cela il doit être écarté. Enfin, cette sordide affaire en dit long aussi sur notre vision tordue de la femme noire qui est toujours perçue plus âgée, moins innocente et plus au fait de la sexualité. (Lisez ICI une étude à ce sujet) Il faut que cela cesse.
UPDATE 30 JUIN 2022
Ce mercredi 29, le chanteur a été condamné à 30 ans de prison pour crimes sexuels par le tribunal fédéral de Brooklyn. Le chanteur a déjà été plusieurs fois été accusé d’abus sexuels, mais avait été acquitté lors d’un procès en 2008. Cette fois-ci justice a été rendue. C’est tellement laid que j’ai du mal à me réjouir. Ma seule satisfaction est que cette décision serve de leçons : les femmes (noires, blanches, vertes…) ne sont pas des objets.
2 réponses sur « 5 POINTS POUR COMPRENDRE L’AFFAIRE R.KELLY »
Ah enfin!!!
Quand je t’avais demandé à la Blackfahrenheit organisée par NOFI quand reviendrait le black et la plume je me doutais pas que ce serait aussi rapide.
Force Mr Seendanew
Tanguy de Blacknetwork
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J’ai découvert ton blog grâce à Chris d’Hyconic.
J’aime beaucoup tes articles.
Ceci dit, quand on regarde le reportage, il y a beaucoup de « victimes » qui sont un peu trop opportunistes (son ex femme par exemple et c’est loin d’être la seule). De même, les témoins ne sont pas forcément les mieux choisis (Charlemagnethegod, vraiment ?!)
R Kelly est sans doute coupable,mais les intervenants décrédibilisent vraiment le message et je pense que si il s’en sort ça sera pour ça
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