Hier le rappeur Shawty Lo est mort dans un grave accident de voiture. Il y a huit ans, dans le cadre d’un reportage sur ATLANTA, j’avais rencontré cette figure de la ville.
“Vous avez des hoods en France ?” Tamiko Hope, la charmante attachée de presse de Shawty Lo, “préfère nous prévenir”. Le lendemain j’avais rendez-vous à Bankhead, le fief du MC. “Bien sûr” avais-je crânement répondu. La question n’était pourtant pas si incongrue. Nulle part en France n’existent des hoods comme Bankhead. Pas de grands immeubles ici, mais des petites maisons aux murs marrons ou blancs à perte de vue. Une succession de baraques miteuses, entourées de gazons couverts de détritus. La zone. Sur Donald Lee Hollowell Parkway, la route principale du quartier, le rien domine, à l’exception d’un fast food et d’un studio. D’un côté du bitume, un Checkers (une chaîne de fast food avec des délicieuses frites au poivre) où les menus sont servis derrière des vitres en plexiglas et de l’autre, le D4L Records. Le studio d’une des figures majeures du quartier, Shawty Lo. Devant ce local aux allures d’épicerie, un groupe de jeunes en white tee et baggy jeans tiennent les murs. “Qu’est-ce que vous cherchez ?”, demande brusquement un barbu en pointant du doigt l’appareil photo de mon camarade Brounchy Brunch aka Bruno Pellarin. “Shawty Lo…” Il nous interrompt, “Il est au Texas pour faire un show.” Super. Alors que l’on tourne les talons, il nous rappelle : “Si vous me donnez un peu d’argent, je peux l’appeler pour vous ?!” Merci, on a compris… Un coup de fil plus tard, le rendez-vous est désormais fixé sur le parking du Giant Food, une sorte de Ed local. On aperçoit une équipe de tournage, un mustang customisé et une énorme Lincoln Navigator : les rappeurs ne doivent pas être loin.
Plusieurs personnes sont à l’initiative de cette journée : Pepsi et Yahoo.com venus filmer et surtout, l’association “Make it Rain In The Hood” d’un dénommé Pezo In Da Cribb. “A quoi cela sert de dépenser quatre mille dollars dans les strip clubs”, demande celui qui est aussi animateur à la radio Hot 107.9 d’Atlanta, “alors que les gens avec qui tu as grandi restent dans la misère ?” Le laïus fait son effet. Résultat, Pezo convie les artistes dans différents quartiers afin “qu’ils rencontrent les ‘vrais gens’, leur donnent des choses plutôt qu’aux strippers.” Et aujourd’hui c’est Shawty Lo qui régale. Alors que le parking commence à tout doucement s’animer, l’homme du jour est déjà là, dans son immense 4X4, en train de fumer des petites cigarettes marrons. Allure efflanquée, le torse recouvert d’énormes bijoux, notre homme est confortablement enfoncé dans un gros siège en cuir crème. Lorsque Shawty Lo nous parle, on doit lui demander poliment, mais à maintes reprises, de se répéter. L’attachée de presse nous avait prévenus : “on ne comprend rien à ce qu’il dit, mais c’est un amour, il ne le prend pas mal !” Ce n’est pas le genre de la maison. Il reconnaît “n’avoir commencé à rapper qu’en 2005 parce que le hood le demandait.” Carlos Walker, aka Shawty Lo, n’est pas un enfant de cœur.“Je n’en suis pas fier mais mon casier parle pour moi”, souffle-t-il. A Atlanta, c’était connu, Carlos est un vrai hustler qui a blanchi l’argent de ses crimes avec une boite de production pour financer ses “amis d’enfance” : le D4L. Lorsque “Laffy Taffy”, leur premier single, devient un tube, lui est à l’ombre. À peine sorti, fort du succès de son label, le voilà qui signe un deal et se met au micro. Son style ? “je ne suis pas un rappeur”, lâche-t-il sans vaciller, “je suis plus un gars qui ‘conversate’.” Et apparemment, cela plaît. En attestent son titre “Dey Know”, accompagné de la petite danse qui va bien, le shawty bounce et “Foolish” (avec Birdman, DJ Khaled, Rozay et Jim Jones au remix) incontestablement les morceaux du moment à Atlanta.
Lorsqu’il s’extirpe enfin du véhicule, le parking est désormais bondé. Des familles, mais aussi beaucoup de jeunes, se pressent autour du rappeur. Sans sécurité, détendu, Shawty Lo, l’enfant des Bowen Homes Projects, est ici chez lui. Photos, autographes pour les petits et un hug viril pour les plus âgés. “J’aime donner aux kids de chez moi”, explique-t-il, “parce que gamin, j’ai grandi avec une seule paire de chaussure par an.” Cet après-midi, les petits sont gâtés. D’abord, parce que les coiffeurs du barbershop des stars, le fameux Bobby’s World, installés sur la plateforme d’un camion, coupent les cheveux des jeunes garçons et Tamiko Hope met des peintures sur les visages des petites filles. Les DJ, eux, passent bien sûr du Shawty Lo en boucle. Ironiquement, le stand de dépistage du diabète (lui-même diabétique, Shawty Lo mène régulièrement des campagnes de prévention) est planté en face du barbecue grill où baignent dans l’huile de gros ribs. Le rappeur, suivi par les fans, continue de déambuler sur le parking en donnant des liasses de un dollar aux enfants. C’est déjà l’heure de faire son titre “Dey Know” pour les caméras de Yahoo. Chaque prise est impressionnante : tout le monde – petits et grands – reprend les paroles et exécute la petite danse du refrain. Après avoir balancé une ultime liasse de billets, Shawty Lo s’engouffre dans une Mustang customisée avec des portes de Lamborghini et file avec son entourage. Une bonne action et un peu de promo… tout le monde est content. Ambiance pas si fréquente dans ce quartier, qui a enfanté des rappeurs comme le sous-estimé Young Dro et…. T.I avec qui Carlos s’était « chiffonné » ! A l’époque c’était LE beef ! L’enjeu ? Être ou ne pas être de… Bankhead. Une pomme de discorde du niveau du CP. A l’époque Shawty Lo avait mené une campagne de sape efficace. Youtube était truffé de petites vidéos où il questionnait la street cred de T.I. Photos de lycée, un extrait du premier clip de T.I, micro-trottoirs…Tout était bon pour prouver que “T-Lie”, comme il l’appelait, n’était pas de Bankhead. Au micro T.I, le King Of South, lyriciste reconnu (même par Shawty Lo d’ailleurs) à peine sorti de prison n’avait fait qu’une bouchée de Carlos. Hier sur Instagram, Tip s’est fendu d’un bel hommage pour Shawty Lo. Il sait mieux que personne, qu’avec la mort de Carlos Walker (a seulement 40 ans) c’est une partie de l’histoire de l’entertainment et de la street d’ATL des glorieuses années 2000 qui s’en va. RIP Shawty Lo.