LE BLACK ET LA PLUME

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la Longévité Dans Le Rap. (PART 2) Clipse : L’Exception Qui Confirme La Règle ?

Malice et Pusha T ont sorti Lord Willin’ leur premier projet il y a 23 ans. Leur quatrième album Let God Sort Em Out sorti ce 11 juillet dernier porté par une communication impeccable est un retour flamboyant. Analyse de l’album de rap de l’année 2025.

Paris, juin 2024. Le siège de l’UNESCO, niché dans le cossu 7ᵉ arrondissement de Paris, est en pleine effervescence. Le parvis de la prestigieuse organisation internationale grouille de stars venues assister à un événement exceptionnel : Pharrell Williams, directeur artistique de Louis Vuitton, dévoile sa nouvelle collection printemps-été 2025. Les mannequins, l’œil impénétrable, arpentent la scène, portant avec grâce ses créations. Puis, à un moment précis (regardez ICI vers la 3ᵉ minute), la musique bascule dans un long solo de piano.

A 5’50 » on reconnaît instantanément la voix de Pusha T, suivies de celle, envoûtante, de John Legend au refrain, magnifiquement soutenu par des chœurs puissants. C’est le sublime titre « The Birds Don’t Sing ». Les fans, encore inconscients de ce qui se joue, savourent déjà ce moment magique : le retour du groupe Clipse, seize ans après leur prétendue « séparation ». Et voilà, une fois de plus, monsieur Pharrell Lanscilo Williams ressuscite la carrière des deux frères. Hier, 13 septembre 2025 a une nouvelle fois prouvé sa loyauté au groupe Clipse. Il dirigeait un grand concert gratuit donné place Saint-Pierre au Vatican pour clore la troisième édition des rencontres mondiales pour la Fraternité humaine. Parmi les stars invitées ? Andrea Bocelli, Angelique Kidjo, Jennifer Hudson et…. The Clipse en costumes impeccables accompagnés de John Legend.

Plongeons ensemble dans cette relation entre le compositeur et les deux rappeurs. D’un côté Pharrell. Il s’immerge très vite dans la musique et monte un groupe avec son pote de lycée Chad Hugo et son cousin DJ Timmy qui deviendra… Timbaland. De l’autre Gene (alias Malice) et Terrance (alias Pusha T) sont frères. Gene, l’aîné des deux, écrit et rappe à la maison et parfois emmène son petit frère au studio. Gene monte un groupe avec DJ Timmy, qui lui présente Chad Hugo. C’est Pharrell, le premier, qui a eu la vision de réunir les deux frères sous une même bannière, les convaincant de rapper ensemble et leur donnant le nom de « Clipse » .

Comme il l’a récemment confié dans une interview vidéo pour Complex, Pharrell se voit comme le « Mario Puzo » (l’auteur de la saga Le Parrain) derrière Clipse : « je compose la musique que les gangsters veulent écouter. Je sais comment faire ça. » Et ce n’est pas tout : c’est encore grâce à lui, via sa structure Star Trak Entertainment, que le groupe signe en 1996 sur le label Elektra de Warner. Lorsque la major refuse de sortir leur premier album, Pharrell prend les rênes et produit intégralement Lord Willin’, leur premier opus.

Virginia Beach dans l’Etat de Virginie, la ville du trio, reflète parfaitement cette alliance improbable. D’un côté, cette station balnéaire de tradition républicaine est inscrite au Guinness Book des records pour sa plage de plaisance, la plus longue du monde. De l’autre, dans les années 80 et 90, grâce à sa position stratégique, Virginia Beach est devenue un carrefour pour le trafic de stups des grandes villes comme Miami, New York ou Atlanta. Pour grossir le trait, d’un côté, Pharrell, le geek passionné d’ A Tribe Called Quest, de pop rock et de skateboard ; de l’autre, les frères Thornton, qui ne jurent que par Mobb Deep. Cette fusion des deux mondes a été révélée au public en 2002 avec la sortie de Grindin’. Un premier single original (qui n’a pas pris une ride) devenu instantanément un classique, propulsant le duo sous les projecteurs.

Une alliance artistique qui a développer un nouveau genre : le « coke rap ».

Suivra quatre ans plus tard Hell Hath No Fury  et en 2009 Til the Casket Drops. Dans les années 2000 le rap game américain était très compétitif. A l’époque être parrainé par Pharrell et rapper correctement n’est pas suffisant pour sortir du lot. Dans les années 80, il y avait le gangsta rap (créer par Schooly D de Philly puis popularisé par Ice T) puis dans les années 90 le mafioso rap popularisé par Raekwon. Les deux frères vont aller plus loin avec le « coke rap ». Ces deux chirurgiens de la rime vont multiplier les références, les comparaisons et les double entendre sur la « poudre de pirlim pin pin. » Ils utilisent des images culinaires (« cooking », « whipping », « baking », etc) , des jeux de mots (“Kilos consigned ‘em, do as I say like Simon / And you too will diamond, blind hun”) (jeu sur Simon Says et le fait d’accéder à la richesse grâce au trafic et des métaphores très poussées comme « I move the caine like a cripple / Balance weight through the hood, kids call me mister sniffles » (caine = cocaine ; “balance weight” pour trafic et “sniffles” pour reniffler).

C’est « cool », c’est smart et sans aucun doute sulfureux. Grâce à cela Clipse va se créer une fan base loyale qui touche des publics variés sans pour autant être grand public.

2010, coup de théâtre : Anthony Gonzalez, le manager des deux frères, est interpellé avec 10 kilos de cocaïne et près de 300 kilos de cannabis… L’acte d’accusation du procureur long de 82 pages, révèle que Gonzalez a fait transiter une demi-tonne de cocaïne et plus d’une tonne de marijuana par Hampton Roads, en Virginie, depuis 2003. Pour Malice, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il quitte Clipse, arrête la glorification de « La Blanche » dans ses textes et se tourne vers la religion, adoptant le nom de No Malice pour marquer sa nouvelle quête spirituelle. Dans le documentaire The End of Malice, il confie que, malgré le succès et l’argent accumulés avec Clipse, il était rongé par un « vide existentiel »…. Bon. En 2011, il publie son autobiographie spirituelle, Wretched, Pitiful, Poor, Blind and Naked, où il revient sur son parcours, ses erreurs et sa conversion au christianisme.

La carrière solo de Pusha T elle, va prendre une autre trajectoire. Kanye West (à l’époque pas encore converti au nazisme) est fan de sa musique, décide de l’enrôler dans son label G.O.O.D Music et de le nommer président. Grâce à ce « co-sign » Push quitte le succès d’estime et goûte enfin à la reconnaissance mainstream. Son premier album solo, My Name Is My Name, sorti le 8 octobre 2013 atteint la 4e place du Billboard 200. Daytona sorti le 25 mai 2018 a été nommé pour le meilleur album de rap aux Grammy Awards. Pusha T va également montrer durant son parcours loin de son frère qu’il est un des MC les plus redoutables. Ainsi son diss track contre Lil Wayne (le glaçant Exodus 23:1 ) puis le freestyle The Story Of Adidon sorti en 2018 où il enterre le pauvre Drake l’ont fait entrer dans les listes (que les Américains adorent) des meilleurs MCs.

Let God Sort Em Out.

Retour en 2025. Les frères, surtout le benjamin, savent on l’a vu, que le « drama sells ». Alors dans une interview publiée début juin 2025 pour l’édition papier du magazine GQ, les frères lèvent le voile sur les coulisses de leur dernier projet. D’abord leur manager, le discret Steven Victor a révélé comment Def Jam/Universal, initialement chargé de la sortie de leur album, a censuré le projet. La raison ? Un couplet enflammé de Kendrick Lamar, interprété comme une énième attaque contre le pauvre Drizzou Drake. Face à cette impasse, les frères se sont tourner vers le « big homie » Jay-Z. Ce dernier, via son label Roc Nation, a racheté leur contrat et assuré la distribution de l’album.

Ensuite dans le premier single So Be It, Pusha T, étrille sans le nommer le surexcité Travis Scott. Dans Popcast un podcast du The New York Times, il a partagé les détails assez savoureux de son inimité pour Môssieur Scott. Cette attitude impétueuse me fait penser à une anecdote avec Push. Lors de son passage à Paris en 2013, pour la promo de son premier album solo My Name Is My Name je lui avais demandé si son couplet dans Favorite Rapper du rappeur indé Alley Boy était destiné à Lil Wayne. Après une pause de deux secondes Push m’avait lâché un flegmatique « Yeah » en haussant les épaules. Je me souviens avoir éclaté de rire tant il m’avait surpris.

Enfin, et ce n’est pas négligeable, le duo a réalisé des partenariats avec cinq marques différentes . En plus du merchandising, grâce à Clipse vous pouvez vous refaire une garde de robe. Des sweats, des t-shirts et des vestes Carhartt, une paire dAdidas, des polos de rugby Denim Tears, des t-shirts de la marque japonaise Verdy et Paper Planes la marque d’Emory Jones un proche de Jay-Z.

La musique .

Let God Sort Em Out est pour moi un véritable petit bijou de 40 minutes. La maîtrise au micro des deux frères est tout simplement à couper le souffle. D’emblée, il faut le souligner leur articulation limpide, rend la première écoute, même pour ceux qui ne sont pas bilingues, immédiatement accessible et donc particulièrement agréable.

La surprise dans cet album vient surtout de Malice. On l’a écrit plus haut, il avait emprunté le chemin périlleux du gospel rap sur deux projets. Le premier Hear Ye Him, sorti en 2013, m’avait laissé dubitatif. Le suivant, Let the Dead Bury the Dead (2017), avait déjà plus de mordant. Avec Let God Sort Em Out, l’aîné reprend sa couronne avec un débit millimétré qui rappelle celui de Kool Moe Dee une star des années 80. À 52 ans, Malice apporte une profondeur sans tomber dans le piège du donneur de leçons. Ses rimes sont imprégnées d’une réflexion spirituelle, une sorte de sermon qui se confronte aux réalités brutales de la rue, offrant un contrepoint parfait à l’urgence des textes de son jeune frère. Le tout évidemment saupoudré de références au « sucre colombien ».

Musicalement, l’album est orchestré par Pharrell Williams sans son double Chad Hugo. Un choix que j’ai regretté lors de la première écoute. Le son est minimaliste et percutant, mais il manque les trouvailles sonores des Neptunes. Chad Hugo, le multi-instrumentiste, avait la tâche d’ enrichir les rythmiques de Pharrell avec des riffs de guitare (pas des samples), des scratches, et des touches subtiles de synthés, comme sur le furieux When The Last Time. Cependant, après plusieurs écoutes de Let God Sort Em Out, on comprend que Pharrell a conçu des instrumentaux sur mesure pour laisser toute la place aux voix et aux textes de Pusha T et Malice.

Let God Sort Em Out vous l’aurez compris n’est pas un simple album de rap, c’est une célébration du « grown man rap ». C’est aussi un rappel puissant de ce qu’est The Clipse : un duo sans compromis. Leur obsession a n’utilisé en majorité que des figures de style (métaphores, comparaisons…) en référence à la drogue dure plaisent au fan de musique que je suis mais dérange encore plus qu’avant le citoyen pour deux raisons principales.

Un, parce qu’il y a un énorme fossé entre la forme (mature et stratégique dans leur roll out et leur marketing) et le fond. Je considère cela au mieux immature ou au pire cynique. Certes, les rappeurs n’ont pas vocation à élever une communauté et/ou les consciences. Nous sommes d’accord. Doivent ils a contrario « empoisonner » la communauté ? C’est un vaste débat qui mérite une vraie conversation dans un autre post peut-être… Deux, car l’incroyable talent et technique d’écriture de Clipse malheureusement est « au service », ou en tout cas banalise des valeurs mortifères. D’autant que lorsqu’ils n’en parlent pas comme sur le morceau en hommage à leurs parents The Birds Don’t Sing ils sont efficaces.

Malgré cette réserve je pense que pour les fans de la première heure comme pour les nouveaux auditeurs, Let God Sort Em Out est leur meilleur album et l’un des meilleurs albums rap de 2025.

Une réponse à « la Longévité Dans Le Rap. (PART 2) Clipse : L’Exception Qui Confirme La Règle ? »

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